Il est fréquent de qualifier la nouvelle génération de flocons de neige, sensibles, fragiles et vulnérables.

Dans La génération anxieuse, Jonathan Haidt, professeur de psychologie sociale de l’université de New York explique comment le paysage de formation(1) des nouvelles générations a provoqué une épidémie de maladie mentale chez plusieurs personnes nées après 1996. Il souligne comment les nouvelles générations vivent une forme d’angoisse. 

Haidt suggèrent que les jeunes souffrent d’un système immunitaire psychologique faible. Selon le chercheur, la capacité d’un enfant d’aujourd’hui à gérer, à traiter et surmonter les frustrations, les accidents mineurs, les taquineries, l’exclusion et les injustices qu’il perçoit à travers le monde ont grandement diminué en comparaison aux générations précédentes. 

Selon le chercheur, cette immunosuppression psychologique que vivent les jeunes les amènent à développer des troubles intérieurs. Le chercheur explique que lorsque ces troubles persistent, ils favorisent des proportions élevées de jeunes adultes nerveux et évitants. 

Par ailleurs, Haidt ne semble pas être informé sur la situation globale à travers le monde qui influence grandement le développement des nouvelles générations. Selon les récentes données des Nations Unies, la violence et la pauvreté ont augmenté au cours de la dernière décennie.

Les estimations du Conseil de sécurité des Nations Unies souligne qu’au moins quart de la population mondiale vit aujourd’hui dans des régions touchées par des conflits, soit 2 milliards de personnes. L’indice de pauvreté multidimensionnelle du PNUD a révélé qu’en 2025, près de 40 % de la population mondiale souffrent de pauvreté multidimensionnelle et vivent dans des pays exposés à des conflits violents.

Ces chiffres démontrent que les conflits plongent les populations et les pays dans la pauvreté ou les y maintiennent.

Conséquemment face à l’augmentation des conflits, de nombreux gouvernements choisissent d’investir des centaines de milliards de dollars dans l’armement, dans des dispositifs antimissiles et dans l’entretien des armes de destruction massive, telles que les armes nucléaires. Par ces choix, les gouvernements négligent les besoins humains fondamentaux tels que l’éducation publique et les soins de santé universels, la nourriture, l’agriculture durable et les énergies renouvelables. 

D’autre part dans son ouvrage, Haidt n’aborde pas le thème de la sensibilité reliée à l’environnement social dans lequel la nouvelle génération se développe. En fait, je crois que son image des jeunes est en déphasage en rapport avec la situation sociale actuelle. Je crois que nous devrions plutôt parler d’une nouvelle génération caractérisée par son incroyable résilience et sa capacité de dénoncer la souffrance, l’injustice et la violence qui augmentent partout à travers le monde. 

En fait, il n’est pas surprenant de voir que ce sont les jeunes qui résistent à s’adapter à des conditions de vie qui sont de plus en plus difficiles, ils refusent de s’adapter à des conditions qui génèrent de la souffrance et de la douleur. Ils refusent de s’adapter à un système qui se dirige vers la catastrophe. Ils refusent de se résigner face au destin collectif de l’humanité.

Ainsi, je crois que dans la sensibilité d’une génération on retrouve une manière d’être et d’agir face au monde. En fait, ce point est capital puisque c’est là que se retrouve la dialectique générationnelle, c’est-à-dire dans les différentes sensibilités et perspectives sur le monde et les événements. 

Ainsi ce sont les jeunes qui se mobilisent depuis quelques années pour alerter les populations des désastres causés par les changements climatiques. Ce sont les jeunes qui ont soutenu les revendications territoriales des peuples autochtones à travers le monde. 

Ce sont les jeunes qui se sont mobilisés durant le printemps arabe en Tunisie, en Égypte, en Syrie et dans d’autres pays du monde arabe pour dénoncer la corruption et la répression des gouvernements. 

Ce sont les jeunes qui se sont mobilisés au Québec pour dénoncer les réformes du système d’éducation et l’augmentation des frais de scolarité en 2011. L’action des jeunes a pratiquement paralysée le gouvernement pendant plusieurs semaines. 

Ce sont les jeunes qui ce sont mobilisés pour exiger un cesser-le-feu et dénoncer le génocide palestinien à Gaza. Ce sont les jeunes qui, en 2010, ont dénoncé la concentration des richesses dans les mains de moins 1% de la population mondiale avec le mouvement Occupy. 

Plus récemment, ce sont les jeunes qui ont organisé une révolution en dénonçant le système de quotas des emplois de la fonction publique et la corruption au gouvernement du Bangladesh. Leur action a permis de déloger un gouvernement corrompu et injuste. 

Partout à travers le monde, ce sont d’abord les jeunes qui se soulèvent pour dénoncer la menace climatique, les abus de pouvoir, les discriminations, les guerres et les injustices. Ils souhaitent des changements. Ils veulent des conditions de vie qui permettent l’évolution des choses et l’amélioration de la vie. 

Tandis que, les générations au pouvoir poussent les nouvelles générations vers l’adaptation croissante des conditions établies qui deviennent de plus en plus inhumaines. 

Peut-être que ce sont plutôt les générations aux pouvoirs qui souffrent d’une forme d’insensibilité face à la situation globale, face à la violence généralisée et face à l’angoisse que vivent les jeunes qui s’interrogent sur la direction des choses, sur la destinée de la planète et de l’humanité.  

Peut-être que les générations au pouvoir croient qu’elles sont un exemple à suivre alors qu’elles appuient et financent des guerres de vengeances sanglantes ou des dizaines de milliers de femmes et d’enfants sont assassinés et affamés quotidiennement. 

Peut-être que ces générations croient qu’elles prennent les meilleures décisions alors qu’elles contribuent à la catastrophe climatique en appuyant et finançant des grandes corporations pétrolières et gazières qui génèrent des milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES). 

En fait, contrairement aux générations précédentes, la nouvelle génération saisit que nous sommes dans une situation globale terrifiante! 

Si la sensibilité des nouvelles générations diffère des générations précédentes, c’est parce que, l’époque de leur formation comprend tous les éléments d’une crise globale et monstrueuse. Une époque caractérisée par les catastrophes climatiques, la violence, les épidémies, les attentats terroristes, les guerres, la possible dérive de l’intelligence artificielle, la surveillance accrue, la méfiance, le déclin des démocraties, le désespoir et l’abandon de plusieurs populations à travers le monde aux prises avec des groupes paramilitaires étatiques ou des groupes terroristes. 

Mais en parallèle à toutes ces difficultés et catastrophes, j’observe la présence de certaines tendances collectives qui résonnent avec la sensibilité des nouvelles générations. Ce sont des organisations de personnes désintéressées par le profit et le gain personnel et permettent à travers leurs actions l’ouverture d’un nouvel horizon de compréhensions et de réflexions sur la vie et l’être humain. 

Finalement, même si ces tendances demeurent très marginales, elles sont l’écho de la sensibilité des nouvelles générations et signalent qu’un changement de perspective s’opère présentement dans l’esprit et dans le regard de l’être humain.

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Source: Haidt, Jonathan, The Anxious Generation: How the Great Rewiring of Childhood Is Causing an Epidemic of Mental Illness, New York Times Bestseller , Un journal de Wall Street Top 10 de 2024, Mars 2024.

Farrell, Anne, Un sens de la vie qui défie la peur l’extinction massive, Les Éditions Henri Oscar Communication, Montréal, décembre 2024.

 

 

(1) paysage de formation: conduites et tactiques apprises et codifiées à la biographie et formées à la période de l’enfance et de l’adolescence.  Nous appelons “paysage de formation” l’ensemble des enregistrements qui forme le substrat biographique sur lequel vont se sédimenter les habitudes et les traits essentiels de la personnalité. La formation de ce paysage commence dès la naissance. Les enregistrements structurés fondamentaux impliquent non seulement un système de souvenirs mais aussi des tons affectifs que l’on nomme les climats. (Silo, Notes de Psychologie, p.100) Le climat est associé à un état de conscience – comme c’est le cas avec l’état de conscience en danger.